Quelques citations
“ Ne reprochez pas à un biologiste qui a consacré sa vie à la
recherche quelque curiosité métaphysique […].Elle ne fait aucun tort au travail
positif et rigoureux et même elle le stimule ; elle entoure l'étude de
L. Cuénot,
L'invention en biologie, Discours à l'Académie, 1935.
-------------------
Cuénot, Annotations, Genèse des espèces animales, 1932, p.
445-446.
-------------------
"La Vie est conquérante d'espace et de matière ; elle cherche obstinément — et
réussit — à étendre son domaine en se diversifiant... Tout se passe comme si
-------------------
Cuénot,
Discours, 1898, p. 14.
Lettre à Lucien Cuénot
Il revient de loin cet
animal doté d’un cortex cérébral surdimensionné ; il a eu tant à lutter pour
survivre, il a tant de fois assisté impuissant à la mort de ses enfants. Il
voit peut-être là un espoir de guérir le mal qu’il s’est fait à lui-même ? Il
génère une pollution chimique telle que son organisme répond de plus en plus
par des cancers qui ne sont au code génétique que ce que les virus
informatiques sont à nos ordinateurs, à la différence près que nous ne savons
pas reformater notre disque dur. L’économie ne voit dans ce nouveau bricolage
génétique qu’un fabuleux marché d’organismes génétiquement modifiés.
L’ignorance fait naître
des peurs irrationnelles mais, là encore, l’homme n’a peur que pour lui, par
pour la nature qui l’entoure, pas pour ses millions d’espèces laissées en
héritage de millions d’années d’évolution et qui disparaissent silencieusement
sans que cela ne l’affecte nullement, croyant sans doute naïvement qu’il
suffira d’un bricolage génétique pour les faire revivre à la demande, pour en
inventer d’autres sinon ; l’homme soumet la Nature à seule fin de se nourrir, d’éliminer les
famines dit-il. Pour cela il introduit de force des gènes appartenant à des espèces
différentes comme la résistance aux maladies, la résistance à la sécheresse, une meilleure
rentabilité… Mais une production non contrôlée d’insecticides naturels n’est
pas sans risque pour l’homme et les écosystèmes, sans compter avec cette fâcheuse
propriété qu’ont les gènes d’avoir des effets multiples sans lien entre eux,
donc forcément inattendus ; vous savez de quoi je parle puisque c’est vous le
premier à avoir découvert cette caractéristique sur les souris dites valseuses.
Les arguments de ces bienfaiteurs de l’humanité sont louables, trop louables
même car comment ne pas craindre un usage détourné, inattendu ou des
conséquences mal maîtrisées dues à une mise sur le marché précipitée ?
Heureusement, si je puis dire, les échecs s’accumulent et les résultats ne sont
pas à la hauteur des investissements financiers et des bénéfices escomptés.
Pourtant, par-delà les
applications pratiques, il me semble que l’on oublie tout simplement la belle
aventure philosophique que ces découvertes font poindre. J’aimerais prolonger
vos questionnements finalistes ne serait-ce que parce que, depuis vos ultimes
digressions, les scientifiques les ont évacués et cherchent toujours avec
acharnement à s’en défaire comme de la colle aux doigts. La tâche est ardue ;
j’apporterai ici simplement des bribes de réflexion.
ô ! J’imagine votre
étonnement à me lire ! Vous étiez bien loin de penser à tout cela, n’est-ce-pas
? Vous n’étiez pas plus que moi bien optimiste sur le genre humain, non ? Si je
vous ai fait part de mes questionnements sur les progrès auxquels nous
assistons, c’est que vous fûtes le premier généticien français en 1902, un des
tout premiers au monde. Nul n’est prophète en son pays : en France, personne ne
vous crut, on se moqua de cette idée saugrenue qui consistait à imaginer des
particules indépendantes qui contiendraient en puissance les caractéristiques
de l’individu ! Il vous a fallu attendre encore presque trente ans pour être
admis au panthéon de la science. Par chance, vous étiez encore vivant. Le père
de la génétique, l’américain Thomas Hunt Morgan ne fut pas mieux traité, ni le
grand Charles Darwin d’ailleurs.
Vous m’avez réconciliée
avec la science vous ai-je dit, la science aujourd’hui devenue si
technologique. Oui, je vous dois cette confidence. Votre passion a été
communicative. Vous avez su poser des questions pertinentes, vos fameuses
“antinomies” : ces questions ont été tout bonnement évacuées depuis 50 ans du
monde de la biologie devenue moléculaire : elle a cru que l’étude des parties
permettrait de comprendre le tout. Elle a cru passionnément que l’assemblage
des briques de la vie n’était qu’un simple jeu de mécano. Aujourd’hui, la
communauté scientifique est partagée : de plus en plus émergent des voix qui disent
en douter.
Vous avez vécu soixante
ans en Lorraine, cette terre fut votre source d’inspiration naturaliste. Cette
Lorraine est désormais bien différente de celle que vous avez connue :
traversée en tous sens par de nouvelles routes, urbanisée, elle laisse
désormais peu de place à la diversité biologique. Si coquelicots, marguerites
ou bleuets réapparaissent timidement, ces fleurs comme tant d’autres n’égaient
plus nos paysages. Elles n’avaient aucune utilité, aussi leur quasi-disparition
s’est faite dans l’indifférence. Elles survivent encore çà et là dans de minces
refuges temporaires. Pourtant, elles venaient embellir nos vies, elles nous
manquent aujourd’hui. Mais grâce à la volonté et la passion de quelques-uns, il
reste encore quelques enclaves protégées, tels des sanctuaires, des reliques
naturalistes : ici une forêt alluviale, là une pelouse calcaire ou une carrière
abandonnée, plus loin un vallon froid, une tourbière… Il était temps.
Un grand biologiste,
Edouard O. Wilson, appelle l’homme “le tueur planétaire”… Comme l’homme est un
étrange animal ; on dirait qu’il n’a de cesse de faire disparaître toute trace
de nature originelle, comme s’il marquait là son désir de couper définitivement
les liens avec ses origines animales. Pourtant, il ne cesse de recréer une pâle
imitation de cette nature et, malgré tous les artifices qu’il peut y mettre,
tous les faux-semblants, il est loin de s’être émancipé de ses comportements
instinctifs, de ceux qu’il partage avec tant d’animaux ! Mais revenons à la Lorraine, votre terre
d’adoption : elle vous a accueilli, vous avez apprécié son éloignement de
Paris, elle vous a fourni d’intéressantes observations naturalistes qui vous
ont permis en outre d’élaborer votre théorie de la préadaptation. Oh ! Vous
n’en revendiquiez pas la paternité, je le sais. Il n’empêche que vous fûtes le
seul à la proposer au début du XXe siècle ; pourtant, la nécessaire mais trop
dogmatique “théorie synthétique de l’évolution” ne l’a pas retenue ; désormais,
vous n’avez plus à le regretter car elle semble être prise à nouveau en
considération.
Je vais tenter d’expliquer
dans cet ouvrage ce qui vous porta, ce qui vous passionna jusqu’à l’extrême
limite. L’élan vital, cher au philosophe Henri Bergson, ne s’est pas éteint
avec votre mort. Non content de se poursuivre dans les gènes de vos descendants
selon les fameuses lois de l’hérédité que vous aviez redécouvertes chez la
souris, il se poursuit désormais au travers de moi et de tant d’autres qui
seront, je n’en doute pas, touchés par votre émerveillement du vivant si
communicatif. En 1898, à Nancy, vous annonciez dans un discours prémonitoire
que “l’homme de science ne meurt pas tout entier ; il reste quelque chose de
lui dans le patrimoine intellectuel de l’humanité, aussi longtemps que celle-ci
existera sur cette Terre ; les idées et les faits qu’il aura semés durant sa
vie se mêlent aux autres connaissances humaines, pour contribuer à la moisson
de l’avenir”.
Jouy-aux-Arches,
juillet 2007
L'année DARWIN
A l’occasion du 200e anniversaire de la naissance de Charles Darwin et du 150e anniversaire de la publication de L’Origine des Espèces, communauté évolutionniste et réseaux associatifs proposent toute l’année un ensemble d’évènements.
Retrouver ces événements en France : en cliquant ici et en Lorraine : en cliquant ici
Lucien Cuénot
fut un des tout premiers en France à s'enthousiasmer pour les idées de
Charles Darwin dès 1890, à l'enseigner à l'Université à Nancy où
l'on se pressait pour venir l'écouter. Il porta une réflexion approfondie sur la
très fameuse sélection naturelle qui le conduisit à proposer une théorie de la
préadaptation, il participa, de manière controversée justement parce que trop
libre penseur, à la construction du courant néodarwiniste au XXe siècle, par son
travail de théoricien de l'évolution, notamment autour du rôle de
l'environnement et du hasard mais aussi de l'adaptation qu'on a trop souvent
tendance à "oublier", et sur la notion même d'espèce en biologie.
C'est aux
portes de la philosophie que ce grand biologiste nous amène, avec rigueur mais
surtout avec émerveillement .
En quelques mots
Le
nom du biologiste Lucien Cuénot est attaché au Muséum de la rue
Sainte-Catherine à Nancy.
On sait moins qu’il fut en son temps un des tout
premiers à enseigner devant de jeunes étudiants enthousiastes les idées de
Darwin et de ses successeurs ; ce qui le conduisit à poser, en libre penseur,
les premières pierres de la génétique.
Dans un style épistolaire, l’auteur nous
amène à redécouvrir l’homme et ses idées et, au travers d’une méditation sur le
vivant et l’évolution, à voir autrement que sous l'angle technocratique les
progrès récents en biologie : oui, l’émerveillement est encore possible, il
suffit d’ouvrir les yeux et de regarder !
En conservant la rigueur méthodique -
héritage des Lumières – la science, souvent vécue comme annonciatrice de
craintes et de profits, peut être aussi une source inépuisable de réflexions
philosophiques et de joies profondes pour celui qui n’a pas cédé à la paresse
intellectuelle du prêt à penser.
Les questions « dérangeantes » de
Lucien Cuénot sur l’adaptation des êtres vivants méritaient de revenir à notre
mémoire.
L'ouvrage Lettre à Lucien Cuénot contient des textes choisis : discours de Lucien Cuénot, articles sur Lucien Cuénot de Jean Rostand (Le Figaro, 1951), de Georges Duhamel...
Annette Lexa-Chomard
Annette Lexa-Chomard est docteur en sciences et auteur en histoire de sciences, membre de plusieurs sociétés savantes.
Après plusieurs années consacrées à la recherche universitaire et à l'enseignement, elle s'est passionnée pour l'histoire et l'épistémologie des sciences de la vie et de la terre, particulièrement en Lorraine, sa terre natale.
Elle est notamment l'auteur de Lucien Cuénot, l'intuition Naturaliste, paru chez l'Harmattan en 2004 (cliquez_ici pour voir ce livre).
Elle est actuellement expert en toxicologie règlementaire.